Interview exclusive avec Heza Botto

Acteur, conteur, citoyen
Un acteur aux milles visages
et l’art de l’engagement

 

Heza Botto incarne cette nouvelle génération d’acteurs pour qui la diversité n’est pas un mot-clé, mais une réalité. D’une élégance rare, Heza Botto s’impose comme l’une des voix montantes du jeu contemporain. Entre héritage culturel multiple et volonté de raconter des histoires universelles, il façonne un parcours singulier où chaque rôle devient une exploration.

Rencontre avec celui qui,
à chaque rôle, révèle l’inattendu.


Acteur franco-camerounais basé à Paris, Heza Botto incarne des rôles cosmopolites et engagés, à l’image de sa filmographie (notamment Les Passagers de la Nuit (2022), Reine Mère (2024). Il a également lancé un court-métrage plus personnel, « Are We Cool with This », financé via Ulule, et tourné en septembre 2025 à Paris  . Ce projet témoigne de son passage à l’écriture/réalisation et de son engagement à faire entendre des récits inédits sur la condition humaine en contexte urbain.

Jombelek : Avec « Are We Cool with This », vous explorez des questionnements Afro-centrés tout en étant européen à travers une expérience locale parisienne. En quoi ce regard nous concerne-t-il tous, quelle que soit notre géographie ?
Heza B. : L’époque où tout le monde naissait, vivait et mourait dans un rayon de cent kilomètres est largement révolue. Sur tous les continents, les campagnes se dépeuplent au profit des villes. C'est une première forme de migration et de redéfinition de l'identité des personnes concernées. Ensuite, que ce soit des pays du Nord vers ceux du Sud ou inversement, les humains sont de plus en plus mobiles à l'international. Quant à celles et ceux qui n'ont pas le besoin ou l'opportunité de voyager, leur smartphone les connecte au reste de la planète. Faisant que où que l'on soit, nos univers mentaux sont influencés par ce qui se passe de l'autre côté du globe. Le local et le global s'entremêlent chez beaucoup de nos contemporain.e.s. C’est pourquoi j’espère que cette histoire concerne la plupart d'entre elles et eux. 

 

Jombelek : Comment vos univers dialoguent-ils dans la manière d’écrire ou de filmer ce récit ?
Heza B. : Je suis Franco-camerounais mais, mis bout à bout, j'ai vécu plus de temps en Europe que sur tout autre continent. Je pense que cela se ressent dans ma manière d'observer le Monde et de le retranscrire. Mais avoir passé l'enfance fondatrice en Afrique centrale me donne un point de vue décalé par rapport à un Européen « de naissance ». De plus, je suis nourri d'autres espaces géographiques encore, où j'ai résidé et que je porterai toujours en moi. Cela me pousse à constamment chercher la nuance, le contre-point, une zone où les points de vue varient et s'expriment sans s'écraser les uns les autres. "Agree to disagree", comme disent les anglo-saxons.

 

Jombelek : L’Europe se vit souvent comme un carrefour culturel. Selon vous, que perd-elle en uniformisant ses récits et que pourrait-elle gagner en s’autorisant plus de contradictions narratives ?
Heza B. : L'Europe est de fait un carrefour culturel. Parfois de gré, parfois de force. Je ne suis pas sûr d'adhérer au terme d'uniformisation des récits. Je pense que l'Europe, c'est surtout les personnes qui y vivent. Quelle que soit leur origine. Employée, artiste, étudiante, native, exilée ou expat, chaque personne apporte ici ses propres récits et les diffuse. Aux récepteurs de ces récits d'en faire ce qu'ils veulent : les reproduire fidèlement, les transformer, les oublier. Tant que les individus circuleront (contre vents, marées et restrictions frontalières), les récits - au sens de retranscription d'expériences personnelles - seront en mouvement. Pour qu'il y ait uniformisation, il faudrait qu'il y ait stagnation. Heureusement, nous n'en sommes pas là.

 

Jombelek : En tant qu’acteur issu de la diaspora, comment transformez-vous cette identité plurielle — souvent tenue pour acquise — en force narrative, sans en faire un justificatif artificiel ?
Heza B. : En ne me posant pas trop cette question. Vivre en étant bien dans ma très individuelle paire de baskets plurielles est le meilleur bouclier contre l'artifice. Et la meilleure façon de résister aux injonctions qui pressent d'un côté comme de l’autre.

 

Jombelek : Que souhaitez-vous faire entendre — ou changer — dans les imaginaires collectifs avec ce film ? Quel avenir ou quelle clé de compréhension proposez-vous ?
Heza B. : J'aimerais faire surgir le doute. Faire changer les opinions ou les mentalités est un immense projet, trop lourd pour mon humble personne. Je me réjouirais déjà du fait que les spectateur.ice.s ressortent de la salle avec une nouvelle fenêtre mentale ouverte. Ce qui compte n'est pas tant d'imposer ce que je pense être juste. Plutôt l'idée qu'un point de vue différent du mien ou du vôtre, une expérience autre du Monde, mérite notre attention et notre compréhension. Même si cela ne se solde pas par un changement de convictions dans le fond.

 

Jombelek : Le recours à Ulule et à un financement participatif implique une communauté globale. Quel dialogue souhaitez-vous créer avec les contributeurs, notamment au-delà de la France ?
Heza B. : J'essaye de célébrer la diversité des contributeur.ice.s.
Les soutiens obtenus jusqu'ici montrent que le sujet résonne au-delà de la communauté afrodescendante et francophone. J'en suis très touché et cela m'encourage dans ma démarche. 
Pour ce qui est de la diaspora afro spécifiquement, elle n'est pas uniforme linguistiquement. En plus des langues locales, les descendants d'Afrique centrale parlent français, ceux d'Afrique septentrionale parlent anglais ou portugais, dans la corne de l'Afrique et dans la bande sahélienne on parle arabe, entre autres. Discuter ensemble implique de recourir à l’Anglais, lingua franca de notre époque. Je m'y applique en sous-titrant le discours de la campagne de financement participatif.
D'ailleurs, Rhokia et Nelson parlent Anglais entre eux. Elle est une « française de seconde génération », pour reprendre l'expression consacrée. Il est un Africain anglophone ayant élu domicile en Europe. On sera tenté de supposer entre eux des affinités naturelles. Pourtant, rien ne dit qu'ils sont issus de la même zone culturelle. Ils doivent, comme à chaque fois que l’on rencontre un.e étranger.e, trouver un moyen de faire dialoguer leurs expériences. L'Anglais les place sur le terrain neutre de tous les échanges globaux d'aujourd'hui. J'espère que ce choix aidera les spectateur.ice.s à mieux s'approprier l'histoire, où qu'ils et elles se trouvent.

 

Jombelek : Pensez-vous que ce récit, même ancré à Paris, peut résonner différemment dans une perspective africaine ? Qu’espère-t-il évoquer pour des spectateurs sur ce continent ?
Heza B. : Le scénario se situe dans un contexte diasporique et non purement africain. Mais comme je le disais plus haut, les outils numériques ont rétréci les distances dans nos esprits. Je pense donc qu'un spectateur de Dakar ou de Kinshasa pourra se connecter à la situation. Je crois qu'il y a un lien à faire - mais à manier avec précaution - entre la fluidité des identités diasporiques et l'hybridation découlant de la colonisation, bien que les deux choses soient très différentes. Toutefois, il est possible que la chute du film bouscule une partie de l'audience plus que l'autre, selon qu'elle vit au Nord ou au Sud de la Méditerranée. Je n'en dirai pas plus.

 

Jombelek : Nos vies numériques nous rapprochent et nous enferment en même temps. Que raconte la promiscuité des réseaux sociaux sur notre époque ?
Heza B. : Depuis que les portables ont été équipés d'internet, j'ai toujours pris soin de laisser cet objet à sa juste place : au fond de ma poche ou de mon sac autant que possible. Je privilégie une observation directe du monde et l'échange avec tous types de personnes. Bien sûr, je suis ravi de la petite lucarne pixelisée qui m'est offerte pour voir des instantanés du globe auxquels je n'aurais autrement pas accès. Mais je me méfie beaucoup de l'algorithme et du biais de confirmation. Ils tuent la curiosité, l'ouverture à l'autre et les possibilités d'entrevoir de nouvelles facettes de soi. Le plus dommage est que ce biais se traduit dans la vie réelle par une polarisation croissante des points de vue. Sur une planète que nous n'avons d'autre choix que de partager dans une logique d'interdépendance, c'est fort dommage. Voire contre-intuitif.

 

Jombelek : Comment, dans votre démarche, distinguez-vous inclusion et superficialité (“soupe” narrative) ? Gardez-vous la singularité intacte dans une mise en récit plus globale ?
Heza B. : Je pense que c'est une question à poser aux spectateur.ice.s. J'espère que leur sentence sera clémente. 
 
Jombelek : Quand vous passez de Yaoundé à Paris, avez-vous parfois l’impression que votre accent ou votre gestuelle devient un personnage comique en soi avant même que vous n’ouvriez la bouche ?
Heza B. : La plasticité de l'esprit est une chose fascinante. Je m'amuse toujours de la façon dont mon accent ou ma gestuelle mutent en fonction du lieu et des personnes, sans que je ne m'en rende compte tout de suite. S'il y a du comique dans la chose, il n'est pas tout à fait choisi mais il est loin d'être subi. Ce sont de petites complexités que j'habite en toute tranquillité. On revient à l'idée d'être bien dans ses baskets plurielles.

 

Jombelek : Dans des sociétés où l’intime est surexposé, quel type de récit pourrait encore surprendre ou émouvoir sans tomber dans l’excès de dévoilement ?
Heza B. : Ce qui me plaît dans le fait de raconter des histoires,  c'est qu'il y en a autant de façons qu'il y a de sensibilités. Les récits qui dévoilent sans pudeur ont l'avantage de nous offrir un regard honnête sur la pensée du personnage ou de l'auteur.ice. Cela constitue une chance de mieux comprendre ce qui ne relève pas de notre expérience intime. Par exemple, l'exposition des intimités post-meetoo a fait bouger le monde, et moi avec. Je ne suis pas opposé à l'exposition de l'intime tant que cela sert un propos. Censurer ou se censurer n'aide pas à la compréhension mutuelle. Si tant est que le cadre est respectueux et honnête, plutôt que propagandiste et provocateur. Par contre, le sensationnalisme sans fond et le geste gratuit sont de vrais fléaux.

 

Jombelek : Que se passerait-il si demain les intelligences artificielles écrivaient la majorité des scénarios ? Quelles zones humaines resteraient inimitables selon vous ?
Heza B. : Nos sens nous permettent d'éprouver le monde et de vibrer dans nos chairs. La science a encore pas mal de travail avant de percer ce mystère et de permettre à l'IA de se l'approprier. Si les scénarios étaient majoritairement écrits par l'IA, il y aurait en l'état actuel un appauvrissement, une standardisation plus grande de la création. C'est mon intuition (mon incantation ?) de non-expert sur le sujet. En même temps, je vois bien que l'IA peut faciliter le travail des créateur.ice.s.
En fait, j'ai l'impression de devoir choisir entre la pilule bleue et la pilule rouge dans le film "Matrix" : j'hésite entre le confort de la Matrice et la liberté courageuse du Monde Réel.

 

Jombelek : Comment envisagez-vous votre trajectoire dans les cinq prochaines années ?
Heza B. : Je veux continuer à jouer. En fiction audiovisuelle ou dans le spectacle vivant, dans autant de territoires que possible. Je continue aussi à développer des projets de fiction qui, d'ici là, verront peut-être le jour. À ce jour, je ne pense pas que cela soit possible sans l'apport vital de mon activité de comédien.

 

Jombelek : Vous avez joué dans des récits majoritairement européens. Ce projet vous permet-il enfin d’inscrire votre écriture dans un récit partagé, peut-être plus africain ? Envisagez-vous de tourner ou de co-produire en Afrique ?
Heza B. : Prendre part au développement des industries culturelles sur le continent qui m'a vu naître, tout en demeurant fidèle à mes valeurs, serait un aboutissement. Néanmoins, je n'ai pas de plan précis. Je fais chaque pas comme il me vient. Une chose est sûre : j'ai encore beaucoup à apprendre sur comment se font les films, tant en Europe qu'en Afrique ou ailleurs. Le chemin sera long. Mais il compte plus que la destination, paraît-il. 


Jombelek : À quoi ressemblerait un festival mondial des récits invisibles et quels types d’histoires aimeriez-vous y entendre en priorité ?
Heza B. : Comme ça, à brûle-pourpoint, je vois des écrans géants dressés aux quatre coins du globe avec des projections simultanées sur toute la planète. Je voudrais y voir des histoires qui secouent nos certitudes. Des récits qui créent de l'empathie avec ce qui nous effraie ou qu'on préfère ignorer. Je reste volontairement vague pour ce qui est des thèmes. Il y en a tellement qui méritent d'être explorés…

Jombelek : Si la diaspora devait inventer un nouveau mythe fondateur, quel serait son héros et son ennemi symbolique ?
Heza B. : Je ne crois pas trop à la notion de mythe. Je m'en méfie, même. J'y vois un côté Culte du Veau d'Or, pour la part de votre lectorat ayant de vagues notions de la Bible. Au mythe je préfère largement la réalité. Notre réalité à nous qui tentons de trouver un sens à notre présence sur cette boule bleue en orbite autour de son Soleil. La réalité d'un équilibre entre aspirations individuelles et nécessité de jouer collectif. La réalité irréfutable d'un monde où cohabitent et s'entre-mêlent plusieurs diasporas. Je n'y vois pas de risque d'uniformisation. Plutôt l'effet de cette transformation créatrice qui caractérise le vivant.

 

Jombelek : Qu’advient-il d’un récit quand il passe d’une langue à l’autre ? Est-ce une perte, un enrichissement, ou une mutation créatrice ?
Heza B. : Je ne suis pas un conservateur. La vie est changement, mouvement. Les récits sont rarement immuables. Soyons donc philosophes et positifs : optons pour la mutation créatrice.   

 

Jombelek : Quel message porteur d’avenir souhaitez-vous adresser aux spectateurs — qu’ils soient à Paris, Douala, Berlin ou ailleurs — à travers « Are We Cool with This » ? Quelle image, quel souvenir voudriez-vous qu’ils emportent ?
Heza B. : Encore une fois, je ne cherche pas à convaincre. Plutôt à ouvrir la discussion. En l'occurrence, sur les sujets que sont l'identité (noire mais pas que), la masculinité et le fait de s'affranchir du dogme. Si à l'issue de la projection certaines personnes se disent " je ne voyais pas les choses comme cela mais oui, après tout pourquoi pas ? ", mon objectif est largement atteint.

Si vous souhaitez participer au projet en développement de Heza, n’hésitez pas à y contribuer via le lien ci-dessous:
https://fr.ulule.com/are-we-cool-with-this/


Interview faites par Johanne-Eli Ernest Ngo Mbelek, aka Jombelek
Paris 14 Septembre 2025

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